édité par Jean-Louis DUMORTIER

Honte : peine de se sentir inférieur, indigne, insignifiant. Aux yeux d’autrui, ou à ses propres yeux – mais ne sont-ils pas le truchement du regard des autres ? Peine aussi de prendre conscience de l’infériorité, de l’indignité, de l’insignifiance des personnes que l’on aime. J’ai honte de moi, qui ne puis franchir la barre à la hauteur où elle est placée. À la hauteur où, souvent, je l’ai placée moi-même – mais est-ce bien moi qui ai conçu l’idéal auquel je ne puis atteindre ? J’ai honte de toi aussi, que je voudrais plus digne de mon amour : moins mesquin, moins résigné, moins humilié. Tu me fais honte, ils me font honte (quand ce qu’ils font eux-mêmes est parfois plus honteux), je me fais honte surtout. À cause de mes larcins d’enfants, de mes trahisons d’adulte, de mes fuites en avant, dans l’alcool et la hâblerie, dans l’agitation et l’affabulation…

Et comment surmonter l’épreuve ? Comment échapper au pénible sentiment de petitesse ? Comment exister à taille respectable si l’on ne choisit pas de tirer son épingle du jeu, en allant voir ailleurs si le juge n’est pas moins sévère, ou en se rayant soi-même de la liste des condamnés à honte ? Il y a le mépris – l’illusion de valoir mieux que ceux qui vous dédaignent –, il y a l’aveu d’indignité en espoir d’indulgence, il y a le rabotage du moi idéal, il y a l’oubli de sa honte dans la sauvegarde des honteux, il y a le crime et la chance paradoxale d’échapper aux jugements insupportables en choisissant soi-même la faute dérisoire pour laquelle on sera châtié. Il y a… bien d’autres issues sans doute que celles illustrées dans les romans ici étudiés.

La honte est une clé de voûte de l’œuvre de Simenon, dont les contributions à ce volume éclairent bien des facettes, toutes laissant transpirer cette idée, qu’à la honte du vécu personnel, l’écriture pourrait bien être un remède.